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Cumul d’activités : distributeur et agent commercial, c’est possible !

Céline Lugagne Delpon > Actualité > Droit commercial > Agents commerciaux > Cumul d’activités : distributeur et agent commercial, c’est possible !

Alors qu’un agent commercial est un intermédiaire de commerce, mandataire d’intérêt commun agissant au nom et pour le compte de son mandant (chargé de développer la clientèle de son mandant), un distributeur agit au nom et pour son propre compte en achetant et revendant les produits et les services de son fournisseur. Pareille différence interdit-elle un cumul entre ces deux activités ? Plus précisément, est-ce qu’un agent commercial est en droit de commercialiser des produits similaires ou analogues à ceux du contrat d’agent commercial en étant, dans le même temps, distributeur de tels produits ?
Dans un arrêt rendu du 20 mars 2024, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a indiqué que le cumul d’activités était possible.
Com. 20 mars 2024, F-B, n° 22-21.230.

Dans cette affaire, une société exerçait une double activité : elle agissait, tout d’abord, en qualité d’agent commercial. A cet égard, elle avait conclu un contrat d’agent commercial avec la société mandante au terme duquel elle était chargée de commercialiser à titre exclusif des matériaux d’étanchéité. En parallèle de cette activité, cette même société exerçait une activité de distributeur. Elle achetait à des industriels des produits de filtration de l’air et d’étanchéité qu’elle revendait à ses propres clients.

Les relations entre l’agent commercial et son mandant ont commencé à se détériorer. L’agent imputait à son mandant d’avoir rompu le contrat en préméditant de façon déloyale son éviction. Le mandant avait alors pris acte de la rupture du contrat pour faute grave de l’agent en refusant donc de lui régler l’indemnité de rupture due au titre de l’article L134-12 du Code de commerce.

L’agent avait alors décidé d’assigner son mandant, notamment pour obtenir son droit à indemnité de fin de contrat. Les juridictions du fond avaient alors fait droit à ses demandes.

Mais le mandant n’avait pas dit son dernier mot. Il a formé un pourvoi en cassation en contestant la qualité d’agent commercial de son partenaire. Selon lui, l’exercice en parallèle d’une activité de distributeur indépendant revenait à exclure toute demande de l’agent au titre du statut des agents commerciaux. Le mandant soutenait alors qu’un agent commercial est un simple mandataire, qui n’a pas de clientèle propre et qui ne peut être titulaire d’un fonds de commerce. Or, en l’espèce, le mandant constatait que son partenaire achetait et revendait des produits et qu’il disposait à cet égard d’une clientèle propre.

La Cour de cassation n’a pas été émue par cette argumentation. Elle a ainsi jugé qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qu’hormis dans l’hypothèse où, conformément à l’article 2, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986, concernant les agents commerciaux indépendants, un État membre choisit d’exclure du champ d’application de cette directive les personnes qui exercent une activité d’agent commercial à titre accessoire, les personnes exerçant une telle activité d’agent commercial doivent être considérées comme relevant de ce champ d’application, quand bien même cette activité serait cumulée à une activité d’une autre nature (CJUE, arrêt du 21 novembre 2018, ZAKO, C-452/17, point 43). Toutefois, « le cumul, par une même personne, des activités d’agent commercial avec des activités d’une autre nature ne doit pas conduire à affecter sa qualité d’intermédiaire indépendant (CJUE, arrêt Zako, précité, point 49) ».

Si, faisant usage de la faculté offerte à l’article 2, paragraphe 2, de la directive, le législateur français a prévu, à l’article L134-15 du Code de commerce, que « lorsque l’activité d’agent commercial est exercée en exécution d’un contrat écrit passé entre les parties à titre principal pour un autre objet, celles-ci peuvent décider par écrit que les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables à la partie correspondant à l’activité d’agence commerciale », cette disposition ne vise pas la situation dans laquelle, comme en l’espèce, les activités d’une autre nature exercées par l’agent commercial ne procèdent pas de l’exécution du contrat passé avec son mandant, de sorte qu’une telle situation n’est pas exclusive du bénéfice du statut d’agent commercial.

Il en résulte « qu’une même personne peut à la fois exercer des activités d’agent commercial, pour lesquelles elle bénéficiera du régime institué aux articles L134-1 et suivants du Code de commerce, et des activités d’une autre nature la conduisant à détenir une clientèle propre, à la condition que les premières soient exercées de façon indépendante ». En conséquence, l’argumentation du mandant qui se bornait à soutenir que l’activité commerciale propre de l’agent était de nature à l’empêcher d’exercer son activité d’agent commercial de manière indépendante, n’était pas fondé.

Une telle décision ne surprend pas dès lors que la jurisprudence de la CJUE, que la Cour de cassation mentionne expressément, va déjà dans ce sens (CJUE, 21 nov. 2018, aff. C-452/17, Zako, § 43 : « les personnes exerçant une telle activité d’agent commercial doivent être considérées comme relevant de ce champ d’application, quand bien même cette activité serait cumulée à une activité d’une autre nature »).

Notons toutefois que la Cour de cassation pose une condition importante à la validité de ce cumul : l’activité de distribution ne doit pas empêcher l’agent commercial de mener son activité de manière indépendante. C’est un point aisément compréhensible dès lors que l’article L134-1, alinéa 1ᵉʳ, du Code de commerce exige que l’agent soit indépendant. On peut en revanche davantage s’interroger sur la compatibilité pratique d’un tel cumul au regard de l’exigence de loyauté dont doit faire preuve l’agent à l’égard de son mandant (et réciproquement d’ailleurs). Un mandant ne pourrait-il pas considérer que l’exercice d’une activité parallèle constitue un manquement aux obligations du contrat d’agent ?