Fax
+33 (0)4 67 58 47 14

Agent commercial : la Cour de cassation procède à un revirement de jurisprudence s’agissant de la faute grave !

Céline Lugagne Delpon > Actualité > Droit commercial > Agents commerciaux > Agent commercial : la Cour de cassation procède à un revirement de jurisprudence s’agissant de la faute grave !

Au terme d’un troisième revirement en quatre ans, la Cour de cassation poursuit la mise en conformité de son interprétation de la directive de 1986 à celle de la Cour de justice de l’Union européenne. Après les conséquences de la rupture de la période d’essai et la définition de l’agence commerciale, c’est la faute grave privatrice d’indemnités dues à l’agent qui suscite la volte-face de la Cour de cassation.

Elle jugeait naguère que les manquements graves commis par l’agent commercial pendant l’exécution du contrat, y compris ceux découverts par son mandant postérieurement à la rupture des relations contractuelles, sont de nature à priver l’agent de son droit à indemnité. Elle affirme aujourd’hui que « l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité ».

Cass. com., 16 nov. 2022, no 21-17423

À l’opposition traditionnelle de David (l’agent commercial) contre Goliath (le mandant), l’arrêt commenté semble plutôt évoquer Ripert (la morale dans les obligations civiles) contre Jhering (le formalisme protecteur).

Un agent commercial, la société Acopal et un mandant, la société Parniers Terdis, entretiennent des relations d’affaires depuis 2008. Un contrat d’agent commercial a été conclu par écrit le 11 octobre 2013. Le mandant a résilié le contrat par lettre reçue en 2016 par l’agent. Le second a assigné le premier en paiement des indemnités de rupture et de préavis ainsi qu’en communication de pièces. La cour d’appel a rejeté toutes les demandes de l’agent. Ce dernier s’est donc pourvu en cassation.

Tout d’abord, l’agent conteste la caractérisation de sa faute grave justifiant la privation de ses droits à indemnités de rupture et de préavis. Ensuite, il reproche aux juges du fond d’avoir méconnu l’interprétation faite par le juge européen de la directive de 1986. Enfin, l’agent fait grief à l’arrêt attaqué de rejeter sa demande de communication de pièces adressée.

Ainsi, trois questions étaient posées à la Cour de cassation :

  • 1/ la tolérance du mandant peut-elle être déduite de l’existence dans le passé de relations d’affaires entre l’agent et un concurrent ?
  • 2/ l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, peut-il être privé de son droit à indemnité ?
  • 3/ l’agent qui demande communication des documents comptables doit-il établir une activité justifiant de commissions potentielles avant la date de cessation du contrat ?

À la première question, la haute juridiction répond par la négative et déboute le demandeur au pourvoi. Certes, la jurisprudence considère que la tolérance du mandant et même l’absence de reproche ou de mise en garde à l’égard de telles fautes l’empêcheront de les invoquer ultérieurement contre l’agent. Mais, au terme d’un contrôle léger, la Cour approuve la motivation des juges de seconde instance qui ont fait ressortir que l’insertion dans le contrat de la clause de non-concurrence remettait en cause la tolérance que le mandant avait pu antérieurement consentir à l’agent.

À la seconde question, la chambre commerciale répond par la négative, accueillant ainsi le pourvoi. Au terme d’un revirement de jurisprudence, le juge du droit considère désormais que l’agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n’a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu’il n’a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.

À la troisième question, la Cour de cassation répond également par la négative et accueille le pourvoi sur ce point. Elle considère classiquement que l’agent est en droit d’exiger de son mandant la communication de tous les documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions susceptibles de lui être dues.

La décision des juges d’appel est donc cassée et annulée pour violation de la loi.